ART ET CRÉATION

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Processus de l’écriture

343 Fragments d'architecture coréenne
343 Fragments d'architecture coréenne

Midi ! Plus de quatre heures que j’écris : huit pages, le double de ma moyenne habituelle. Je n’ai pas pensé à mon œil ni à mes petits problèmes, si ce n’est à travers ce que j’écris : en les regardant et les analysant de l’extérieur, dépouillés de l’émotion qui crée dukkha*. En fait, quand on écrit, est-ce qu’on est dans le présent, ou bien dans le passé et le futur décrits par les mots ? Ce n’est pas évident. Une pensée qui surgit dans l’esprit depuis la mémoire ou l’inconscient, est-elle le moment présent ? Même si elle est un reflet du passé et nous empêche de percevoir par les autres sens ce qui se passe dans le présent autour de nous ? C’est bien la perception présente du sens de l’esprit ; comme quand on lit un livre d’histoire, qu’on regarde une photo ou qu’on écoute un disque : c’est du passé qu’on perçoit dans le présent. D’ailleurs, ce qui se passe autour de nous est déjà du passé quand on le perçoit ; simplement du passé très récent. Est-ce que le présent existe vraiment, ou n’est-il qu’une autre illusion ? 

La création n’est, somme toute, que la transformation, l’interprétation d’une image, d’un événement, d’une idée du passé. Une idée ne naît pas spontanément de rien ; elle est toujours le résultat de causes et de conditions du passé, même inconscientes. Donc, si on veut arrêter le flot des pensées et être complètement ouvert à ce qui se passe autour de soi dans le présent, ça veut dire qu’on se ferme à ce qui se passe dans son esprit. Est-ce vraiment plus sage ? Faut-il être plus ouvert au monde extérieur qu’au monde intérieur (puisqu’il semble qu’on ne puisse pas être ouvert aux deux simultanément) ? Quand je suis installé pour écrire à la maison, comme maintenant, je ne suis pas tellement perturbé ou attiré par des stimuli extérieurs ; presque tout ce que j’écris est la description du flux des pensées. Par contre, quand j’écrivais au bistrot ou sur la plage de Tahiti, à tout moment une perception de l’environnement extérieur, surtout visuel, interrompait le flot des pensées ; pendant une ou deux phrases, je décrivais les gens qui m’entouraient, l’atmosphère, le coucher de soleil… avant de reprendre le fil de mes pensées. Ce que j’aime bien, d’ailleurs, car ça donne un cadre physique et réel aux divagations de mon esprit, un petit répit pendant lequel on revient sur terre ! 


Dukkha (pali) : insatisfaction, imperfection, souffrance. Une des trois caractéristiques de l’existence et de tous les phénomènes, selon le bouddhisme. Les deux autres sont anicca (l’imper­manence) et anatta (l’impersonnalité). Il y a trois sortes de dukkha : le dukkha de la souffrance : la souffrance est douloureuse par elle-même ; le dukkha du plaisir : le plaisir n’est pas complètement satisfaisant parce qu’il contient l’incertitude de son accomplissement et de son prolongement, la crainte de sa cessation et la nature douloureuse de la lassitude et de la satiété qu’il ne manquera pas de produire ; et le dukkha inhérent à tous les phénomènes conditionnés.

 

29 octobre 1989, Bangkok

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