Doutes picturaux
J’ai l’impression que ma peinture est laborieuse : je commence par faire quelque chose de médiocre que j’essaie d’améliorer en y rajoutant des couches de peintures. Mais cette façon de travailler ne me satisfait pas, même si c’est peut-être celle qui me convient. Je n’arrive pas à m’exprimer spontanément et rapidement, mais dois peaufiner mes idées avec patience, persévérance, sans essayer d’économiser ni le temps ni les efforts ni les tubes de peinture. Mais est-ce que mes idées de départ sont valables, sont assez fortes ? Doivent-elles être fortes et valables ou ne sont-elles qu’un prétexte à une peinture ? La peinture ne peut-elle être que la recherche d’une satisfaction esthétique, sans le support d’une idée, d’un sujet, d’une intention ? En ce moment, je suis vraiment dans le brouillard. Je me demande si représenter des symboles religieux d’une façon abstraite, comme j’ai essayé de faire ces derniers mois, est valable ; ou s’il ne faudrait pas me libérer aussi des symboles.
J’ai également des doutes sur mes motivations pour peindre. Les deux couvertures de livre me semblent un peu futiles ; je me demande si elles expriment bien ma peinture. Si je travaille dans ce but, est-ce que je ne fais pas du graphisme plutôt que de la peinture ? J’avais un fort désir de faire ces couvertures : le désir d’être reconnu, publié, en fait ; et maintenant que ce désir est réalisé, je constate qu’il ne m’apporte pas vraiment satisfaction. D’abord, les couvertures, surtout la deuxième, ne sont pas aussi réussies que je l’aurais espéré ; ensuite, être publié n’ajoute rien à la valeur intrinsèque d’une peinture ; et ne semble pas me donner une plus grande confiance en moi et en mon travail. Je me dis qu’il ne faut rien attendre de l’approbation et de la reconnaissance des autres, du succès, du marché, des critiques, des expos, des publications, des compliments… Ce n’est qu’à l’intérieur de soi qu’on peut trouver la satisfaction et la confiance dans son travail ; si tant est qu’on puisse la trouver, qu’on ne cherche pas quelque chose qui est au-dessus de ses moyens et capacités. Faut-il se fixer le but d’une perfection peut-être inatteignable, même sûrement inatteignable ? C’est-à-dire toujours avancer, progresser, aller plus loin, chercher, persévérer ; si on reste statique, on recule. Il y a pourtant des moments où je suis satisfait de mon travail, content de ce que j’ai fait : il y a des peintures que j’aime bien et dont je ne me lasse pas, même dans les anciennes ; mais il me semble que je ne peux plus faire ça : c’est le passé, c’était une étape ; maintenant, il faut faire autre chose, aller plus loin, même si je ne sais pas très bien comment.
29 octobre 1989, Bangkok