Regarder sans jugements
Laisser les tableaux être ce qu’ils sont, même s’ils dérangent par leurs dissonances. Pas besoin d’atténuer, d’harmoniser, de pastelliser, d’arrondir les angles, de rajouter un lavis blanchet, de retoucher pour retrouver une forme plus proche d’une certaine perfection, d’un certain concept du beau, de la composition harmonieuse des formes et des couleurs. Arriver à regarder les tableaux sans jugements de valeur, au-delà du beau et du laid, du bon et du mauvais tableau, des préférences. Percevoir ce que chacun exprime, soit par son harmonie, soit par ses dissonances ou ses imperfections. Comprendre pourquoi il nous gène, qu’est-ce que nous ne pouvons pas accepter ou aimer, et essayer d’avoir de la patience, de la tolérance, de la compassion pour l’imparfait, l’inachevé, les tensions ou frictions qu’il suscite en nous. Accepter the way it is, le résultat d’une action picturale, d’un moment créatif, heureux ou malheureux, appliqué ou impulsif, concentré ou distrait. Percevoir la manifestation visuelle de la force vitale, de la conscience cosmique, dans un de ses multiples aspects. C’est ça le vrai abstrait, la manifestation visuelle d’un instant, pas une œuvre achevée, préméditée pour plaire et répondre à certains critères conceptuels et esthétiques, si ce n’est commerciaux. Pouvoir accepter le premier jet aussi bien qu’un travail très abouti et léché. Ne pas être obligé de se soumette à des canons.
Je ne sais pas si je suis convaincu par cette théorie, et si je ne vais pas néanmoins retoucher. Le désir du beau et du parfait est insistant. La peur de la médiocrité, de l’ordinaire, d’une certaine facilité ou simplicité, innocence, naïveté, incompétence, du refus de la technique et du talent.
12 mai 1997, Hua Hin