Niveaux de peinture
J’ai regardé tout à l’heure les premiers tableaux de ma série Katsura, ils sont pas mal, ça se présente bien. J’espère retrouver un peu d’inspiration et d’énergie pour y travailler encore cette semaine. Il y a une nouvelle idée que j’essaie de développer, mais elle n’est pas encore très claire dans mon esprit, et je ne maîtrise pas encore tout à fait la technique, c’est de travailler sur plusieurs niveaux successifs ou superposés. Un premier niveau de base, formel, qui définit le sujet – ici les compositions géométriques inspirées par Katsura ; il comprend le dessin et un premier passage de couleurs. Le deuxième niveau, que j’appelle le niveau du sens, est ici la surimpression d’un texte : Katsura en écriture latine ou chinoise (japonaise) ; mais je pourrais aller plus loin, avec des textes plus élaborés, des symboles ou des signes. Le troisième niveau est encore mal défini dans mon esprit, c’est une intervention – des traits, des taches de couleur abstraites ou d’autres éléments figuratifs sans rapport direct avec le sujet ou le sens (nuages, arbres, plantes, personnages, etc.) – qui masquent plus ou moins les deux niveaux précédents.
Bien sûr, ces niveaux pourraient être différents, plus nombreux, intervenir dans un autre ordre ou en même temps, et surtout, introduire dans le tableau plusieurs niveaux de compréhension ou de conscience. La peinture que j’ai faite jusqu’en 1986 comportait, à quelques exceptions près, le premier niveau seulement, que je pourrais toutefois diviser en deux niveaux : celui de la forme, le dessin correspondant à une vision réelle, et celui de la couleur, qui suivait le dessin mais ne correspondait en général pas à la vision réelle. Si je peux garder ce premier dessin, qui sert de point de départ au tableau, de prétexte, de thème commun d’une série, je veux lui enlever son importance ; il ne doit plus dominer le tableau et, dans certains cas, peut même partiellement ou complètement disparaître, et ne rester que sous forme de « souvenir ». Le plus important est d’arriver à introduire le troisième niveau, ou le quatrième, qui sera le niveau cosmique, divin, l’aspect caché, inhérent en toute chose… Tout un programme !
Ce système doit aussi me permettre d’utiliser la calligraphie, ou la peinture chinoise, à un certain niveau, mais pas seulement, comme je l’ai fait jusqu’à présent, comme la vision et la reproduction de la forme d’un idéogramme, mais comme une action picturale spontanée sur le tableau ; cela va me demander de bien travailler la technique. Je vais essayer de faire des expériences dans ce sens pendant mon voyage, au dessin ou à l’aquarelle, ou en tout cas y penser et prendre des notes de peinture dans cette optique.
15 novembre 1987, Faaa (Tahiti)