Quantité ou qualité
Aujourd’hui, je pensais avec nostalgie à Bangkok et la Thaïlande, qui commencent à me manquer. Si j’analyse mes motivations pour être venu au Japon, il y en a deux principales : la peinture et le bouddhisme ; et peut-être la relation entre les deux. Comme je me pose des questions, j’ai des doutes sur ma pratique de ces deux disciplines, et je cherche des idées, des informations, des expériences, des connaissances qui pourraient m’aider à mieux définir ce que je dois faire. J’aimerais trouver la confirmation que je suis bien sur la bonne voie, ou sinon, la façon dont je pourrais éventuellement modifier ma trajectoire.
Je ne me fais pas beaucoup d’illusion sur l’éventualité de découvrir ce que je dois faire, la voie à suivre ; mais peut-être un certain nombre de choses à ne pas faire, de voies à ne pas suivre. Je pense que c’est plutôt par élimination de tout ce qui n’est pas utile, pas bénéfique, pas satisfaisant, que finalement on trouve sa voie, sa paix intérieure. Si cette paix intérieure est le vide, il n’y a bien sûr rien à trouver, mais au contraire tout à éliminer.
Pour commencer par la peinture, cette course dans les galeries et les musées fut finalement bénéfique : elle m’a donné une bonne vision de la réalité de l’art actuel et du système commercial des galeries. Quand je pense aux expos de ce matin (ces centaines de grandes toiles accrochées les unes contre les autres sur deux rangs), c’est la révélation de la quantité, du gigantisme et de la médiocrité ; à l’opposé de l’art traditionnel japonais, où une seule petite peinture ou calligraphie de grande qualité était accrochée dans une niche spécialement conçue à cet effet.
Rien ne sert donc de faire des grandes toiles, mais continuer les petites peintures sur papier (je pense à Klee, à Wols). Pas besoin d’en faire beaucoup, mais passer encore plus de temps sur chacune et chercher le raffinement : créer un objet précieux ! Au lieu de faire une exposition de quarante tableaux, exposer une seule peinture, mise en valeur avec soin dans un lieu choisi. L’utilisation d’un tableau pour illustrer la couverture d’un livre part de la même idée. L’artiste, en exposant son tableau, ne cherche plus à le vendre, à gagner quelque chose, mais à offrir un plaisir visuel aux gens. Si la création artistique part d’une intention de don, celle-ci disparaît complètement dès qu’on cherche à en tirer un profit. Il s’agit donc de définir les meilleures manières d’offrir à voir une peinture ! Pour commencer, il faut probablement renoncer définitivement au désir de commercialiser ses œuvres.
28 septembre 1989, Tokyo